Récit épique : Le possédé
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Récit épique : Le possédé
Adso revenait d'une visite dans la campagne environnante, à demi assoupi, bercé par les mouvements de sa mule. Il laissait son esprit vagabonder sur des sujets tels que : la quadrature du cercle (qu'il ne désespérait pas de résoudre un jour), la question de savoir si le rédacteur de la Pastorale voulait vraiment dire "à l'instar" ou "à l'inverse", ou encore la meilleure façon de faire apparaître dans une main ce qui disparaissait dans l'autre, en l'appliquant à l'économie à grande échelle...
Lorsqu'il arriva aux abords de son village, le curé de Luxeuil remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas. Il y avait un petit attroupement, mais personne ne s'insultait ou ne se tapait dessus. Toutes les têtes finirent par se tourner vers lui. A mesure qu'il approchait du pas tranquille de sa mule, il entendait des murmures comme : "... lui seul pourra résoudre ce problème...", "oui, pour sûr". Adso fut intrigué, et en même temps se sentit très fier de cette confiance. Un léger frisson lui chatouillait l'épine dorsale.
Arrivé juste devant le groupe, un des notables prit la parole. On voyait qu'il s'efforçait de paraître détendu :
Bonjour monsieur le Curé ! vous avez fait bon voyage ?
Sans même attendre la réponse, l'air plus préoccupé :
Monsieur le curé... vous pourriez venir quelques instants ? On a un petit soucis...
Adso fit signe qu'on lui montre le chemin, confiant les rênes au notable. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Avait-on de nouveau besoin de son incommensurable intelligence ?
A mesure qu'il avançait dans les rues du village, il vit des habitants sortir sur le pas de leur porte, l'air tout d'abord grave puis soulagé lorsqu'ils le reconnaissaient. Là encore, des chuchotements : "Si lui n'y arrive pas, personne ne le pourra...", "Cà, c'est un boulot pour notre curé !" , "Et s'il ne nous en débarrasse pas, qu'allons nous devenir, Seigneur ? Notre village sera la proie du Sans Nom !" Puis, un peu plus loin : "Vous avez vu ce regard intelligent ? ce pas raffiné ?" Mais là, il n'était pas sûr que la personne ne parlait pas plutôt de sa mule...
Adso commençait à comprendre de quoi il s'agissait. Sans doute encore un nouveau cas de "possession démoniaque" au village... Il y avait des périodes, comme çà, où les villageois voyaient l'oeuvre du Sans Nom un peu partout... La dernière fois, c'était une truie qui avait des gaz, la fois d'avant, il avait eu toutes les peines du monde à faire comprendre à un couple que leur enfant avait tout simplement la même maladie que le grand César... Bien sûr, après çà, il n'avait pas eu le coeur de les détromper quand ils s'étaient mis à croire que ce grand benêt pourrait devenir un jour un grand capitaine dans l'armée comtoise...
Il dit à l'attention du notable qui guidait sa mule depuis l'entrée du village :
Allons, pressons un peu, ne faisons pas attendre ce malheureux possédé !
Le notable s'arrêta, interdit, tournant un visage surpris vers Adso, jusqu'à ce que la mule, qui continuait benoitement son chemin, le tire après elle. Adso ne fut pas mécontent de son petit effet.
Mais... euh... çà ne vous fait pas peur ? dit avec hésitation son guide qui suivait alors la mule plutôt qu'il ne la guidait. Je ne voulais pas vous en parler tout de suite, de crainte de...
Moi, peur ? allons donc. Le Très-Haut est avec moi !
Enfin, ils arrivèrent à une des auberges de Luxeuil. Adso descendit de cheval et entra. L'aubergiste lui fit signe que çà se passait à l'étage, et lui dit : "Deuxième porte à gauche." Mais lui-même resta prudemment dans la salle du bas. Toujours suivi de celui qui l'avait amené jusqu'ici, Adso monta bravement les escaliers, puis ouvrit non moins bravement la porte qu'on lui avait indiqué. Il entra seul.
Oncle Cheno ! Mais que diable viens-tu faire ici ? Père m'avait dit que tu étais mort !
Bah ! ce vaurien voudrait bien que je le sois ! lui répondit son oncle, un grand gaillard à la longue barbe plutôt sel que poivre.
D'abord surpris, Adso embrassa son grand-oncle qui lui expliqua qu'il avait décidé de faire un séjour à Luxeuil en entendant parler de son neveu, dont la renommée dépassait les limites de la Franche-Comté. Remis de l'émotion des retrouvailles (Adso avait toujours préféré son grand-oncle, un bon vivant, à son propre père), il lui demanda :
Dis-moi un peu : qu'est-ce que tu as été encore raconter à ces pauvres villageois pour les mettre dans cet état ?
L'oncle Cheno avait toujours des histoires assez fabuleuses à raconter, comme la fois où, à l'en croire, il avait été élevé dans les airs par des anges qui l'avaient amené dans les temps futurs pour lui montrer comment se déroulait la période de Noël. Adso apprit donc que, cette fois, son oncle racontait une toute nouvelle histoire sur Pâques. Encore une fois, on lui avait fait visiter le futur : au cours de cette fête, les enfants mangeraient des oeufs, des poules et des lapins en "chocolat", une nouvelle épice qu'on rapporterait d'un continent qui surgirait de l'océan, tout à coup dans quelques dizaines d'années, à l'Ouest de l'Europe. Ces friandises seraient larguées du haut des airs par des cloches qui reviendraient de Rome, où elles seraient allés en conférence pour se tenir au courant des derniers progrès en matière de sonnerie de cloche.
Adso comprit alors ce qui avait perturbé les villageois. Il fit promettre à son oncle d'arrêter de raconter ces histoires d'enlèvement tant qu'il serait à Luxeuil, et lui conseilla d'ailleurs de faire attention à ne pas trop les raconter ailleurs, pour éviter de s'attirer des ennuis. C'était une chose qu'Adso raconte de telles histoires en disant "mon oncle Cheno nous racontait...", c'en était une autre que Cheno prétende devant témoins que ces histoires étaient vraies.
Adso prit finalement congé de son grand-oncle, sortit de la chambre, redescendit les escaliers, passa la porte de l'auberge, pour tomber sur les villageois réunis devant l'auberge, à distance prudente du "possédé" et de la foudre qu'il ne manquerait pas d'attirer avec ses délires inquiétants sur l'avenir. Adso s'adressa alors à eux :
N'ayez pas peur !
J'ai exorcisé le démon. Il est possible qu'il en reste encore quelques traces dans le corps de ce malheureux pendant quelques jours, mais il ne pourra plus nous faire de mal !
Les applaudissements de la foule accueillirent ces paroles. Adso était encore une fois le héros de Luxeuil.
(texte de prose présenté au concours "de la plume à l'encrier" en avril 1457, qui valut un prix à Adso :
Lorsqu'il arriva aux abords de son village, le curé de Luxeuil remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas. Il y avait un petit attroupement, mais personne ne s'insultait ou ne se tapait dessus. Toutes les têtes finirent par se tourner vers lui. A mesure qu'il approchait du pas tranquille de sa mule, il entendait des murmures comme : "... lui seul pourra résoudre ce problème...", "oui, pour sûr". Adso fut intrigué, et en même temps se sentit très fier de cette confiance. Un léger frisson lui chatouillait l'épine dorsale.
Arrivé juste devant le groupe, un des notables prit la parole. On voyait qu'il s'efforçait de paraître détendu :
Bonjour monsieur le Curé ! vous avez fait bon voyage ?
Sans même attendre la réponse, l'air plus préoccupé :
Monsieur le curé... vous pourriez venir quelques instants ? On a un petit soucis...
Adso fit signe qu'on lui montre le chemin, confiant les rênes au notable. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Avait-on de nouveau besoin de son incommensurable intelligence ?
A mesure qu'il avançait dans les rues du village, il vit des habitants sortir sur le pas de leur porte, l'air tout d'abord grave puis soulagé lorsqu'ils le reconnaissaient. Là encore, des chuchotements : "Si lui n'y arrive pas, personne ne le pourra...", "Cà, c'est un boulot pour notre curé !" , "Et s'il ne nous en débarrasse pas, qu'allons nous devenir, Seigneur ? Notre village sera la proie du Sans Nom !" Puis, un peu plus loin : "Vous avez vu ce regard intelligent ? ce pas raffiné ?" Mais là, il n'était pas sûr que la personne ne parlait pas plutôt de sa mule...
Adso commençait à comprendre de quoi il s'agissait. Sans doute encore un nouveau cas de "possession démoniaque" au village... Il y avait des périodes, comme çà, où les villageois voyaient l'oeuvre du Sans Nom un peu partout... La dernière fois, c'était une truie qui avait des gaz, la fois d'avant, il avait eu toutes les peines du monde à faire comprendre à un couple que leur enfant avait tout simplement la même maladie que le grand César... Bien sûr, après çà, il n'avait pas eu le coeur de les détromper quand ils s'étaient mis à croire que ce grand benêt pourrait devenir un jour un grand capitaine dans l'armée comtoise...
Il dit à l'attention du notable qui guidait sa mule depuis l'entrée du village :
Allons, pressons un peu, ne faisons pas attendre ce malheureux possédé !
Le notable s'arrêta, interdit, tournant un visage surpris vers Adso, jusqu'à ce que la mule, qui continuait benoitement son chemin, le tire après elle. Adso ne fut pas mécontent de son petit effet.
Mais... euh... çà ne vous fait pas peur ? dit avec hésitation son guide qui suivait alors la mule plutôt qu'il ne la guidait. Je ne voulais pas vous en parler tout de suite, de crainte de...
Moi, peur ? allons donc. Le Très-Haut est avec moi !
Enfin, ils arrivèrent à une des auberges de Luxeuil. Adso descendit de cheval et entra. L'aubergiste lui fit signe que çà se passait à l'étage, et lui dit : "Deuxième porte à gauche." Mais lui-même resta prudemment dans la salle du bas. Toujours suivi de celui qui l'avait amené jusqu'ici, Adso monta bravement les escaliers, puis ouvrit non moins bravement la porte qu'on lui avait indiqué. Il entra seul.
Oncle Cheno ! Mais que diable viens-tu faire ici ? Père m'avait dit que tu étais mort !
Bah ! ce vaurien voudrait bien que je le sois ! lui répondit son oncle, un grand gaillard à la longue barbe plutôt sel que poivre.
D'abord surpris, Adso embrassa son grand-oncle qui lui expliqua qu'il avait décidé de faire un séjour à Luxeuil en entendant parler de son neveu, dont la renommée dépassait les limites de la Franche-Comté. Remis de l'émotion des retrouvailles (Adso avait toujours préféré son grand-oncle, un bon vivant, à son propre père), il lui demanda :
Dis-moi un peu : qu'est-ce que tu as été encore raconter à ces pauvres villageois pour les mettre dans cet état ?
L'oncle Cheno avait toujours des histoires assez fabuleuses à raconter, comme la fois où, à l'en croire, il avait été élevé dans les airs par des anges qui l'avaient amené dans les temps futurs pour lui montrer comment se déroulait la période de Noël. Adso apprit donc que, cette fois, son oncle racontait une toute nouvelle histoire sur Pâques. Encore une fois, on lui avait fait visiter le futur : au cours de cette fête, les enfants mangeraient des oeufs, des poules et des lapins en "chocolat", une nouvelle épice qu'on rapporterait d'un continent qui surgirait de l'océan, tout à coup dans quelques dizaines d'années, à l'Ouest de l'Europe. Ces friandises seraient larguées du haut des airs par des cloches qui reviendraient de Rome, où elles seraient allés en conférence pour se tenir au courant des derniers progrès en matière de sonnerie de cloche.
Adso comprit alors ce qui avait perturbé les villageois. Il fit promettre à son oncle d'arrêter de raconter ces histoires d'enlèvement tant qu'il serait à Luxeuil, et lui conseilla d'ailleurs de faire attention à ne pas trop les raconter ailleurs, pour éviter de s'attirer des ennuis. C'était une chose qu'Adso raconte de telles histoires en disant "mon oncle Cheno nous racontait...", c'en était une autre que Cheno prétende devant témoins que ces histoires étaient vraies.
Adso prit finalement congé de son grand-oncle, sortit de la chambre, redescendit les escaliers, passa la porte de l'auberge, pour tomber sur les villageois réunis devant l'auberge, à distance prudente du "possédé" et de la foudre qu'il ne manquerait pas d'attirer avec ses délires inquiétants sur l'avenir. Adso s'adressa alors à eux :
N'ayez pas peur !
J'ai exorcisé le démon. Il est possible qu'il en reste encore quelques traces dans le corps de ce malheureux pendant quelques jours, mais il ne pourra plus nous faire de mal !
Les applaudissements de la foule accueillirent ces paroles. Adso était encore une fois le héros de Luxeuil.
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(texte de prose présenté au concours "de la plume à l'encrier" en avril 1457, qui valut un prix à Adso :
"Genre épique" : Imaginez, vous êtes une personnalité dont la réputation n'est plus à prouver dans votre comté : fort, intelligent et courageux sont les qualités louées par la population à votre encontre. Hélas, un danger menace la quiétude et le bien-être des habitants...
Exaltez vos vertus héroïques, mettez en avant vos vertus morales (énergie, courage, sacrifice...). Votre récit devra susciter de l'admiration parmi vos personnages mis en scène...
Sujet a rédiger en prose.
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