Une vérité qui dérange

Luxeuil, le 7 mars 1457.

Mes Dames, Mes Sires,

Si vous lisez ces lignes, c'est qu'il m'est arrivé quelque chose de grave, et Quasi avait alors ordre de vous transmettre ce parchemin. Donnez lui quelques deniers (pas plus, sinon il va les boire), ou sinon, il risque de piquer une crise. Heureusement, il ne sait pas lire...

S'il m'est arrivé quelque chose, donc, c'est très probablement en rapport avec ce qui suit. Je me suis rendu compte en effet qu'une vérité importante était, probablement volontairement, manipulée en Franche-Comté. Certains prétendent en effet que les revenus des récoltes correspondent au travail des petites gens qui les possèdent. Il n'y a rien de plus faux ! Ces revenus sont en fait des rentes. Cette vérité est terrible, n'est-ce pas : les "pauvres paysans" sont en fait de gras bourgeois ! Ainsi, ceux qui obtiennent leur premier champ l'ont pour 90 écus. Il leur suffit ensuite d'avoir un peu d'argent de côté pour acheter les semences et autres outils, et payer les ouvriers agricoles. Ce "capital" de départ est récupéré lors de la revente, et immédiatement réinvesti pour la nouvelle récolte. C'est donc une rente associée à un capital (prix du champ plus salaires, outils et semences) que perçoit le "paysan".

Les vrais personnes qui créent de la richesse, ce sont les ouvriers qui travaillent dans le champ (d'accord, parfois ce sont les propriétaires eux-même qui y travaillent... dans ce cas, ils sont à la fois rentiers et prolétaires !)

Mais il y a plus grave ! Nous savons tous que le premier champ fournit le plus fort revenu, pour un prix d'achat relativement faible. Le deuxième champ, lui fournit des revenus plus faibles. Or il a été acheté bien souvent 3 voire 5 fois plus cher que le premiers champ ! On essaie donc de faire croire aux gens que posséder des champs, c'est un moyen "honnête" de gagner de l'argent. Mais en fait, il faut de très nombreuses récoltes pour simplement amortir l'achat du second champ...

Maintenant le plus grave ! J'ai proclamé haut et fort, plusieurs fois, que pour faire diminuer la surproduction, baisser les prix des denrées était une bonne solution, certes, mais qu'il fallait faire peser le plus fort de cette baisse sur les revenus des propriétaires (les rentiers), plutôt que sur les salariés (les ouvriers agricoles). Ainsi, en baissant fortement le prix des produits des champs sans toucher aux salaires, le 2e champ devient très peu rentable, et il est plus aisé de faire comprendre aux gens que ce n'est pas dans leur intérêt d'acheter un 2e champ. Et ainsi, on supprime une part non négligeable de la surproduction, sans imposer de règles sur l'utilisation ou non de ces champs. Si les nouveaux arrivants en Franche-comté sont ainsi découragés, et avec l'aide d'Aristote, si une partie de la population qui avait un 2e champ disparait, on obtient un rééquilibrage "sans douleur". Ceux qui ont déjà un 2nd champ, ont toujours des bénéfices, même s'ils sont minimes, tandis que les autres réfléchiront à deux fois avant d'investir dans un champ qui ne sera amorti qu'au bout de plus d'un an (si , si faites le calcul...) : qui peut dire où il sera dans un an ?

Et bien, croyez-le ou non... Je l'ai dit plusieurs fois, mais personne n'a semblé m'écouter. Ceci est trop dérangeant pour certaines personnes, et je suis persuadé que s'il m'est arrivé quelque chose, c'est à cause de cette vérité qui dérange.

Adso, Grand-Maître de la Fierté Célibataire et président par intérim du Comité pour l'Avancement de la Société Humaine (C.A.S.H.).